Saint Paul, selon l’expression de Bossuet, a été le plus zélé des Apôtres et le plus illustre des prédicateurs. Non content de prêcher l’Évangile de vive voix, il l’a prêché par ses écrits à ses contemporains et il nous le prêche encore dans ses Épitres immortelles qui ont fait l’admiration de tous les siècles et qui seront à jamais la consolation, l’instruction et l’édification de l’Église. Il a bien réalisé la parole qu’avait dite de lui le divin Maitre : « C’est un vase d’élection, pour porter mon nom devant les Gentils, les rois et les enfants d’Israël. » Paul, appelé d’abord Saül, était né à Tarse en Cilicie (voir la note Act. IX, 30), d’une famille juive, de la tribu de Benjamin, vers le commencement de l’ère chrétienne. Son père était pharisien. Envoyé encore jeune à Jérusalem, Saül y reçut les leçons de Gamaliel (voir la note Act. V, 34). Quand le christianisme commença à se propager, il se fit remarquer entre tous par sa haine et son animosité contre les disciples de Jésus-Christ. Pendant le martyre de S. Étienne, il gardait les vêtements de ceux qui le lapidaient. Quelque temps après cet évènement, il se fit charger par les princes des prêtres d’aller poursuivre les Juifs convertis dans les villes étrangères. Mais le Sauveur l’attendait sur le chemin de Damas, et de persécuteur, il le fit apôtre (an 35). Saül avait alors environ 35 ans. Lorsque la Providence l’eut suffisamment préparé à l’œuvre de la conversion des Gentils, à laquelle elle l’avait particulièrement appelé, S. Paul commença ses courses et ses missions à travers l’empire romain. C’était vers l’an 45. « On peut distinguer, dit M. Bacuez, trois voyages apostoliques de S. Paul, ayant pour point de départ, non Jérusalem, capitale de la Judée, mais Antioche, la métropole de l’Orient, dont la population mélangée et trafiquante était en rapport avec toutes les nations du monde et où les disciples du Sauveur portaient déjà le nom de chrétiens. Le premier se fit avant le concile de Jérusalem, de 45 à 47 ou 48. Parti avec S. Barnabé, après avoir reçu le caractère épiscopal et avoir appris, dans un ravissement, des secrets merveilleux, l’Apôtre commence par évangéliser l’ile de Chypre, puis il revient sur le continent, prêche à Perge en Pamphylie, à Antioche de Pisidie, à Iconium, à Lystra, à Derbe de Lycaonie ; et enfin, après une nouvelle visite à Lystra, icône, Antioche de Pisidie, il rentre à Antioche. Le second voyage eut lieu peu après le concile, et dura environ trois ans, de 51 à 53 environ. Il a plus d’importance encore que le premier. S. Paul, se séparant, dès le début, de Barnabé, qui retourne en Chypre, sa patrie, s’avance avec Silas vers le nord de l’Asie-Mineure. Il parcourt la Phrygie, et jette les premières semences de la foi en Galatie. Ensuite, sur un avis qu’il reçoit du ciel, il passe en Europe. Il fonde les églises de Philippes, de Thessalonique et de Bérée dans la Macédoine ; puis, en Grèce, celle d’Athènes, et celle de Corinthe, où il séjourne dix-huit mois chez Aquila, et d’où il écrit ses deux Lettres aux Thessaloniciens. Enfin il regagne Antioche par Éphèse, Césarée, Jérusalem. Le dernier voyage est le plus long. Il eut lieu de 55 à 58 environ. Après avoir visité les églises de Galatie et de Phrygie, S. Paul fait à Éphèse et aux environs un séjour d’environ trois ans. Une sédition le forçant de quitter Éphèse, il en laisse le soin à Timothée, et part pour la Macédoine. De là il revient à Troade, passe en Grèce, retourne à Corinthe où il demeure trois mois ; puis, revenant par la Macédoine, il s’embarque à Philippes, passe à Troade, à Asson, à Milet. Quelques jours après, il est à Césarée, chez le diacre Philippe. Enfin il arrive à Jérusalem, où il tombe au pouvoir de ses ennemis, et après deux ans de captivité il se voit forcé d’appeler au tribunal de César. Dans le cours de ce dernier voyage il avait écrit quatre Épitres nouvelles, deux aux Corinthiens, la première d’Éphèse, la seconde de Philippes ; puis l’Épitre aux Galates et celle aux Romains, de Corinthe. » « Il court ainsi, dit Bossuet, il court par toute la terre, portant partout la croix de Jésus ; toujours menacé, toujours poursuivi avec une fureur implacable ; sans repos durant trente années, il passe d’un travail à un autre, et trouve partout de nouveaux périls ; des naufrages dans ses voyages de mer, des embuches dans ceux de terre ; de la haine parmi les Gentils, de la rage parmi les Juifs ; des calomniateurs dans tous les tribunaux, des supplices dans toutes les villes ; dans l’Église même et dans sa maison des faux frères qui le trahissent, tantôt lapidé et laissé pour mort, tantôt battu outrageusement et presque déchiré par le peuple ; il meurt tous les jours pour le Fils de Dieu, quotídie mórior ; et il marque l’ordre de ses voyages par les traces de sang qu’il répand et par les peuples qu’il convertit. » S. Paul fut emprisonné vers l’an 58. Arrêté à Jérusalem, conduit ensuite à Césarée, il fit, dans cette dernière ville, appel à César et fut conduit à Rome, où il comparut peut-être devant Burrus et Sénèque, les ministres de Néron, de qui dépendait son sort. On croit qu’il recouvra sa liberté en 62, mais depuis son arrivée à Rome nous n’avons plus sur sa vie et ses actes les renseignements détaillés et authentiques que nous avait fournis jusque-là S. Luc. « Après les derniers récits des Actes, récits qui vont jusqu’en 58, 60 ou 63, suivant les systèmes, tout ce qu’on sait de certain, c’est qu’il travailla avec succès à la propagation de l’Évangile dans la capitale de l’empire, sans cesser de veiller sur les églises d’Asie ; qu’il écrivit du lieu de sa captivité au moins quatre Épitres : aux Éphésiens, aux Colossiens, à Philémon, aux Philippiens. Ceux qui n’admettent qu’une captivité le font mourir en 64, sous la persécution de Néron ; mais le sentiment le plus commun est qu’il fut martyrisé avec saint Pierre, en l’an 67. Quant aux autres faits qui remplirent les dernières années de sa vie, ils ne sont pas connus avec certitude. Néanmoins on s’accorde généralement à penser qu’après avoir comparu devant Néron et avoir été absous à son tribunal, S. Paul reprit ses courses apostoliques, qu’il se rendit en Espagne, suivant son ancien projet, en passant par les Gaules ; qu’il revint en Orient, s’arrêta à Colosses, à Troas, à Milet, dans l’ile de Crète, en Macédoine, à Corinthe, à Nicopolis ; puis qu’étant rentré à Rome, vers 66, il fut arrêté de nouveau avec S. Pierre et soumis à une dure captivité, enfin condamné à mort et décapité sur la route d’Ostie. D’autres pensent qu’il se rendit d’abord en Orient, en passant par l’ile de Crète, qu’il visita Jérusalem, Colosses, puis qu’après plusieurs voyages dans la Macédoine, dans la Grèce et à Éphèse, il arriva en Espagne en passant par Rome où il revint pour terminer sa vie. » (L. Bacuez.) En mourant, S. Paul laissait en héritage à l’Église ses quatorze Épitres. Neuf d’entre elles sont adressées à des Églises (en supposant que celle aux Hébreux a été écrite pour l’Église de Jérusalem), une à une province (la Galatie), quatre à des particuliers. Elles ont toutes été écrites en grec, à l’exception peut-être de l’Épitre aux Hébreux dans sa première rédaction. Leur date précise n’est pas toujours facile à déterminer avec certitude. En voici le tableau chronologique, d’après M. Bacuez.
Six Épitres écrites dans l’espace de six
ans, pendant son IIe et son IIIe voyage apostolique :
Ire aux Thessaloniciens (V chap.), 2e voyage, en 52, de Corinthe.
IIe aux Thessaloniciens (III chap.), même année, de Corinthe.
(à partir des lettres qui suivent : douze lettre sous Néron de 56 à 66)
Ire aux Corinthiens (XVI chap.), 3e voyage, en 56, d’Éphèse
IIe aux Corinthiens (XII chap.), en 57, de Philippes.
Aux Galates (VI chap.), en 57, de Corinthe.
Aux Romains (XVI chap.), en 58, de Corinthe.
Quatre Épitres écrites sur la fin de sa première captivité : L’an 62, de Rome.
Aux Philippiens (IV chap.),
Aux Éphésiens (VI chap.),
Aux Colossiens (IV chap.),
À Philémon (I chap.),
Trois entre les deux captivités :
Aux Hébreux (XIII chap.), l’an 63, de l’Italie.
À Tite (III chap.), l’an 64, de la Macédoine.
Ire à Timothée (VI chap.), même date, et même contrée.
Une pendant sa dernière captivité :
IIe à Timothée (IV chap.), l’an 66, de Rome.
« Le grand prédicateur de Jésus-Christ, dit S. Cyrille de Jérusalem, c’est S. Paul. L’Esprit Saint a permis que les autres Apôtres n’écrivissent qu’un petit nombre d’Épitres ; mais pour S. Paul, il a voulu qu’il en écrivît quatorze. Pourquoi cela ? Parce que S. Paul a commencé par persécuter le Christianisme et que rien ne prouve mieux la vérité d’une doctrine que le suffrage de ses persécuteurs. » Les lettres de l’Apôtre des gentils n’ont rien d’analogue dans aucune langue, ni pour le fond ni pour la forme. La doctrine en est merveilleuse et divine ; la dialectique, irrésistible. « S. Paul a des moyens pour persuader que la Grèce n’enseigne pas et que Rome n’a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plaît de relever ce que les superbes méprisent, s’est répandue et mêlée dans l’auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons dans ses admirables Épitres une certaine vertu plus qu’humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu’elle captive les entendements, qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. » (Bossuet.) Pour exposer les grandes vérités chrétiennes, S. Paul se façonne à lui-même son langage. Il a créé la langue chrétienne, il a fait exprimer à des mots païens les vérités nouvelles que Jésus-Christ avait apportées au monde. « La sagesse du grand Paul, dit S. Grégoire de Nysse, se sert des mots à son gré, il les assujettit à sa volonté et adapte leur signification aux besoins de sa pensée, quoique l’usage leur ait attribué un autre sens et en ait fait l’expression de conceptions différentes. » La nouveauté de son langage produit une certaine obscurité, mais plus encore son exposition. Les idées se pressent en foule sous sa plume ; elles s’accumulent, s’entassent et s’emmêlent. De là un certain désordre, de longues parenthèses, des retours en arrière, des phrases inachevées, des constructions compliquées, etc. Ce n’est point la marche savante et méthodique des classiques de l’antiquité, mais si ce sont là des défauts au point de vue littéraire, comme ils sont largement compensés par des qualités d’ordre supérieur ! Quelle vie, quel mouvement, quels élans et surtout quelles pensées divines dans ces Épitres ! « N’attendez donc pas de l’Apôtre, dit Bossuet, ni qu’il vienne flatter les oreilles par des cadences harmonieuses, ni qu’il veuille charmer les esprits par de vaines curiosités. S. Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. Son discours, bien loin de couler avec cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, parait inégal et sans suite à ceux qui ne l’ont pas assez pénétré ; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier. Mais n’en rougissons pas. Le discours de l’Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. S’il ignore la rhétorique, s’il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout, et son nom qu’il a toujours à la bouche, ses mystères qu’il traite si divinement, rendront sa simplicité toute puissante. Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs ; et malgré la résistance du monde, il y établira plus d’Églises que Platon n’y a gagné de disciples, par cette éloquence qu’on a crue divine. Il prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l’Aréopage en l’école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes ; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d’un proconsul, et il fera trembler dans leur tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix ; et un jour cette ville maitresse se tiendra bien plus honorée d’une lettre du style de Paul, adressée à ses citoyens, que de tant de fameuses harangues qu’elle a entendues de son Cicéron. » « S. Paul est le théologien du Nouveau Testament et le dernier degré de la profondeur dans les choses divines. Venu après Jésus-Christ, quand la révélation de tous les mystères était consommée, homme de science avant d’être l’homme de Dieu, il a porté dans les abimes de l’incarnation et de la rédemption une lumière si énergique, qu’elle éblouit d’abord, et une intrépidité de foi dont l’expression abrupte cause une sorte de vertige à l’entendement qui n’y est pas préparé. S. Paul a une langue à lui, une sorte de grec tout trempé d’hébraïsme, des tours brusques, hardis, brefs, quelque chose qui semblerait un mépris de la clarté du style, parce qu’une clarté supérieure inonde sa pensée et lui parait suffire à se faire voir elle-même. Insouciant de l’éloquence comme de la lumière, il rebute d’abord l’âme qui vient à ses pieds ; mais, quand on a la clef de son langage, et qu’une fois, à force de le relire, on s’est élevé peu à peu à l’entendre, on tombe dans l’enivrement de l’admiration. Tous les coups de sa foudre ébranlent et saisissent ; il n’y a plus rien au-dessus de lui, pas même David, le poète de Jéhovah, pas même S. Jean, l’aigle de Dieu ; s’il n’a pas la lyre du premier ni le coup d’aile du second, il a sous lui l’Océan tout entier de la vérité et ce calme des flots qui se taisent. David a vu Jésus-Christ du haut de la montagne de Sion, S. Jean a reposé sur sa poitrine dans un banquet ; pour S. Paul, c’est à cheval, le corps en sueur, l’œil enflammé, le cœur tout rempli des haines de la persécution, qu’il a vu le Sauveur du monde, et que renversé à terre sous l’éperon de sa grâce, il lui a dit cette parole de paix : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » (Lacordaire.)
£